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A Chypre, des efforts soutenus pour un accord de réunification en 2016

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« Tôt ou tard, le problème chypriote aura sa solution »

Emine Çolak, « ministre des affaires étrangères » de la République turque de Chypre Nord

Mercredi 21 octobre, dans un grand hôtel du 8° arrondissement

EmineColak

Novembre 2015 sera un mois décisif dans la recherche d’un accord pour réunifier politiquement l’île de Chypre. Les dirigeants des deux entités du nord et du sud vont en effet se retrouver pour six séances de négociations du 2 au 25 novembre. Nicos Anastasiades, président de la République de Chypre, reconnue internationalement mais dont l’autorité ne s’étend que sur la partie méridionale de l’île, et Mustafa Akıncı, président de la République turque de Chypre Nord (RTCN), reconnue par la seule Turquie, ont décidé d’intensifier les pourparlers qui se sont réamorcés en mai 2015, sous l’égide de l’ONU. Ils devraient recevoir le soutien notamment du secrétaire d’État américain John Kerry, attendu dans le courant du mois sur l’île.

Emine Çolak va être associée de près à ces négociations. En 1963, alors qu’elle était âgée de 5 ans, sa famille a fui son domicile de Lefkosa (Nicosie, en turc),  par crainte des exactions. Après avoir suivi toutes ses études en Angleterre jusqu’au diplôme d’avocat, elle est revenue sur l’île où elle a mis à profit sa formation de juriste pour exercer des fonctions municipales, puis judiciaires, dans la partie nord sous contrôle turc. Engagée dans la défense des droits de l’homme et dans le dialogue entre les communautés chypriote turque et chypriote grecque, elle a été nommée à la tête du « ministère des affaires étrangères » de la RTCN il y a quatre mois.

Elle est passée fin octobre à Paris, avant de se rendre à Bruxelles. Rencontrée dans un grand hôtel à la veille de son départ de la capitale française, elle se désolait de n’avoir pu rencontrer aucun officiel. Elle avait pu en revanche plaider sa cause auprès de certains parlementaires.

« Ban Ki-moon veut une solution de la question chypriote »

« Je suis venue pour avoir plus de soutien, plus de compréhension, plus d’engagement de la France vis-à-vis du processus en cours », explique-t-elle. « Il y a actuellement un bon alignement des planètes au niveau international : les trois puissances garantes de Chypre – la Turquie, la Grèce et le Royaume-Uni – ainsi que l’ONU, l’Union européenne et les États-Unis, sont favorables aux négociations et appuient nos efforts. En septembre, à New York, nous avons rencontré le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, qui a marqué son intérêt spécifique pour que la question de Chypre soit résolue. L’Union européenne aussi a besoin de se débarrasser du dilemme d’un État membre divisé ».

« Nos efforts et notre esprit de dialogue doivent être reconnus »

« La diplomatie française, en revanche, reste froide à notre égard », regrette-t-elle. « Nous les Chypriotes turcs avons l’impression qu’elle nous isole, nous punit, alors que nous avons besoin de nous sentir traités d’une façon équilibrée avec les Chypriotes Grecs. A Paris, le traitement de la question  chypriote semble machinal, reproduisant l’idée que la Turquie a envahi l’île en 1974, qu’elle occupe le nord et qu’il est hors de question de reconnaître la RTCN. Mais ce n’est pas cette reconnaissance que nous cherchons, c’est celle de nos efforts pour aller vers la réunification, dans un esprit de dialogue et de coopération ».

« La France ne peut pas rester à l’écart »

« Je prépare un voyage en France de notre président, Mustafa Akıncı, qui viendra en tant que leader de la communauté des Chypriotes Turcs », informe-t-elle. « J’espère qu’il aura des contacts de haut niveau. Les autorités des deux côtés de l’île sont dans une dynamique positive. En moins d’un an, nous pouvons aboutir à un accord global qui permettra une réunification de l’île, au sein de l’Union européenne. Il faut tenir ce délai car des élections législatives auront lieu en mai 2016 au sud. Or les élections ne sont jamais bonnes pour la réconciliation. Elles favorisent le « non ». Nous espérons que la France et les grands pays européens adoptent dès à présent une attitude amicale et compréhensive. Nous aurons besoin d’aides financières. La France ne peut pas rester à l’écart ».

« Une alchimie positive entre les deux présidents »

Emine Çolak le prétend : « une alchimie positive est apparue entre les deux présidents », Nicos Anastasiades et Mustafa Akıncı. Depuis l’entrée en fonction du second, élu en avril, « les rencontres entre eux sont fréquentes. Ils ont pris le café ensemble dans la vieille ville de Lefkosa, ont assisté à un concert ensemble, sont allés au théâtre…. Ils se montrent, polis, mesurés. Cela fait passer les bons messages aux deux populations ».

> Lire ‘Va-t-on vers la réunification de Chypre ?’, interview d’Étienne Copeaux publié dans La Croix le 27 avril 2015

« Régler la question des propriétés avant Noël »

« Les négociations se sont engagées au plus haut niveau et dans le cadre de comités techniques qui négocient sur six thèmes : Gouvernance et institutions, Économie, Union européenne, Propriété foncière, Ligne de démarcation et territorialités, Garanties », précise-t-elle. « Un quasi consensus a été atteint sur les trois premiers, mais c’étaient les plus faciles. La question des propriétés est beaucoup plus difficile. Si elle est réglée avant Noël, nous nous attendons à ce qu’une solution globale puisse être signée durant les premiers mois de 2016″.

« Le statu quo actuel est négatif pour les deux communautés »

« Nous discutons dans le cadre de la Déclaration commune acceptée par les deux parties le 11 février 2014 sous les auspices de l’ONU », souligne l’émissaire de la RTCN. « Ce texte déclare que le statu quo actuel a des conséquences négatives pour les deux communautés de l’île. Il prévoit que le règlement final sera fondé sur la mise en place d’une fédération bizonale et bicommunautaire dont les deux États seront égaux en droit. Mais il n’y aura qu’une citoyenneté chypriote. L’accord final sera soumis à référendum simultanément dans les deux parties de l’île. Cet accord sera garanti internationalement ».

« Deux points de passage supplémentaires entre le sud et le nord »

« Le climat est bon entre les dirigeants et l’aspiration à la réconciliation existe au sein des deux communautés », assure-t-elle. « Des mesures de confiance sont prises. Deux points de passage supplémentaires, à Varosha/Famagouste et à Lefke/Lefka ont été ouverts, en plus des sept autres déjà existants. L’interconnexion des réseaux de téléphones cellulaires et des réseaux électriques se développe. Une démarche positive se poursuit sur les thèmes de la santé, de l’environnement, du développement économique, de l’héritage culturel. Après de longues années d’attente, un accord a été trouvé pour une coopération en faveur de la restauration de l’église du monastère de l’apôtre saint André, à l’extrémité nord-est de l’île ».

> Lire ‘A Chypre, le football pour réunifier Grecs et Turcs’, article paru dans La Croix le 31 juillet 2015

« Des accords ont permis d’organiser des cultes dans des églises du nord »

« Le dialogue interreligieux est lui aussi positif », signale Emine Çolak. « Les responsables de la communauté musulmane et des différentes Églises – Chypriote grecque (orthodoxe), maronite, arménienne et latine – se sont réunis et ont engagé un dialogue public. Plusieurs accords ont permis d’organiser des cultes dans des églises du nord qui n’avaient pas été utilisées depuis des 40 ans. D’anciens habitants de ces villages sont venus en bus ou en voiture. C’était émouvant ».

« Les Chypriotes Grecs sont beaucoup plus religieux »

« Les Chypriotes Turcs traversent assez facilement la ligne de démarcation pour aller côté sud », ajoute-t-elle. « Les Chypriotes Grecs sont habituellement très réticents pour aller au nord car ils sont très amers de ne plus pouvoir y profiter de leurs biens. Mais quand c’est pour manifester leur foi, ils y vont. Les Chypriotes Turcs sont musulmans mais ne sont pas très pieux. Les Chypriotes Grecs sont beaucoup plus religieux. C’est pourquoi le dialogue interreligieux est important ».

> Lire ‘Les liens renoués entre Chypriotes turcs et Chypriotes grecs‘, article paru dans La Croix le 27 mars 2014

« Les violences sont loin mais pas assez pour qu’on les oublie »

« Nous sommes dans un optimisme prudent », renchérit la ‘ministre des affaires étrangères’ de la RTCN. « La question de la propriété des terres et des biens va enfin être abordée. Trois options sont envisagées : le retour des réfugiés dans leur domicile d’avant la séparation; l’échange de biens; et la compensation pour la perte des biens. Les retours seront limités car dans chaque partie de l’île, il y a dorénavant une communauté ultra-majoritaire et que peu de réfugiés sont prêts à lui faire confiance. Le traumatisme des violences est encore très fort, notamment chez les Chypriotes Grecs. C’était il y a plus de 40 ans. C’est loin mais pas assez pour qu’on l’oublie ».

« Donc il s’agira surtout de compensations », poursuit-elle. « Ce sera un règlement au cas par cas. Ce sera compliqué car le nombre d’ayant droit a augmenté depuis 1974. Mais c’est la question-clé. Si on arrive à un accord, tout le reste se mettra en place ».

« En 2004, on s’est senti rejetés »

« Nous les Chypriotes Turcs, nous voulons vraiment aboutir », assure Emine Çolak. « Lorsque les Chypriotes Grecs ont rejeté le précédent accord de réunification, le plan Annan, en 2004, ce fut une immense déception pour nous. Nous avions voté ‘oui’ mais à cause du ‘non’ des Chypriotes Grecs, non seulement la réunification ne se réalisait pas mais nous étions tenus à l’écart de l’Union européenne alors qu’eux y entraient. On s’est senti rejetés, abandonnés, laissés de côté ».

« Nous sommes fatigués et malades d’une division qui entraine une exclusion »

« Depuis, nous sommes toujours soumis à l’embargo de l’Union européenne. On ne peut pas commercer ou voyager directement de la RTCN vers les pays de l’UE. Nos jeunes ne peuvent pas y participer aux compétitions sportives. Les Chypriotes Turcs sont fatigués et malades d’une division qui entraine cette exclusion. Elle cause aussi des problèmes d’identité, de dépendance envers la Turquie. Et notre économie ne peut pas se développer s’il n’y a pas de commerce, de tourisme, de ressources énergétiques. Des gisements de pétrole offshore ont été repérés il y a plusieurs années à l’est de l’île. Cela a suscité beaucoup de tensions mais il a été décidé de laisser cette question de côté. Quand l’accord de paix sera signé et entré en vigueur, ce sujet sera traité au niveau fédéral ».

« Se mettre au niveau des standards européens »

« Tôt ou tard, le problème chypriote aura sa solution », assure l’avocate. « Mieux vaut que ce soit à présent. Quant à moi, je n’ai jamais douté. Après la cruelle déception de 2004, je me suis dit qu’il fallait travailler à la modernisation de la société chypriote turque, changer les mentalités, élever le niveau d’éducation, se mettre au niveau des standards européens. Je suis devenue une activiste du processus de paix et de réconciliation. La meilleure méthode, c’est de regarder de l’avant ».

 

Pour aller plus loin

- Le texte de la déclaration conjointe des autorités chypriotes grecques et chypriotes turques, adoptée le 11 février 2014 sous les auspices de l’ONU, et qui se sert de base aux négociations actuelles (en anglais);

- Une chronologie de l’histoire récente de Chypre établie par la Documentation française (mais s’arrêtant en mai 2010) ainsi que le dossier sur Chypre réalisé par la Documentation française, mis à jour le 6 octobre 2011;

- Les cartes du dossier « Chypre, une île divisée », de l’émission Le Dessous des cartes, diffusée sur Arte;

- L’article « Le gaz et le pétrole de Méditerranée réactivent les négociations à Chypre », publié sur le blog Paris Planète le 28 mai 2014;

- L’article « En Turquie, une société plurielle et une fin de règne pour Erdogan« , publié sur le blog Paris Planète le 6 avril 2015.


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